Rien, ou presque, n’était plus agréable que d’ouvrir ses rideaux un samedi matin, après une longue nuit de sommeil réparatrice, pour trouver le monde extérieur illuminé par le soleil et le ciel d’un bleu éclatant. Raegan prit quelques secondes précieuses pour observer les arbres lentement soufflés par le vent et entendre les oiseaux battre des ailes dans les alentours, un sourire las sur les lèvres. Quel bonheur ! Raegan était peut-être une jeune femme occupée, comme elle devait l’être en tant que jeune femme respectable, mais malgré tout, elle aimait bien prendre quelques secondes pour admirer le monde tourner autour d’elle. C’était une chose que son père lui avait appris, alors qu’elle était gamine. Il la prenait dans ses bras, alors qu’elle n’était haute que comme trois pommes, et il la faisait tournoyer dans les airs. Raegan avait l’habitude d’ouvrir les bras bien grands, et s’imaginer voler. Puis, quand elle retombait au sol, elle s’attristait de constater qu’elle ne pouvait, en fait, pas vraiment voler, mais son père la regardait avec son sourire, son petit sourire à lui, et lui disait : ma petite princesse, tu peux tout faire ce que tu veux. Raegan n’avait certainement jamais oublié ces paroles-là. Comme son père avait eu raison. Elle pouvait faire tout ce qu’elle voulait. Elle ne pouvait peut-être pas voler, mais c’était tout comme. Elle était grande, plus grande que tous, elle était une reine, elle était au delà des nuages. Elle était là où la plupart des gens ne pourraient jamais rêver d’un jour accéder. Raegan sourit au jeune homme qui passa sous sa fenêtre. Oui, elle ne pouvait peut-être pas voler, mais être elle, c’était encore mieux.

Elle ferma les paupières, l’espace d’un moment, pour remercier Dieu pour cette journée magnifique, puis jeta un coup d’oeil à l’horloge sur le mur à sa droite. Il était presque dix heures, et elle devait rencontrer Blaze à onze heures pour un brunch au Marie Antoinette. C’était son restaurant favori, et elle était fébrile à l’idée de passer un peu de temps avec son amie, qu’elle respectait et admirait. Blaze était la présidente du Lexton Club, après tout, et une jeune femme tout aussi respectable qu’elle-même, forte et ambitieuse, et Raegan avait beaucoup d’affection pour elle. Raegan se dirigea donc vers la salle de bain, où elle s’occupa avec sa routine de beauté habituelle. Crème de jour, eyeliner, mascara, une touche de rouge à lèvres. Elle coiffa méticuleusement ses cheveux et enfila les vêtements qu’elle avait choisi la veille. Après tout, elle se devait de se présenter de manière impeccable. Elle ne se permetterait pas de ne pas avoir une apparence correcte, surtout dans un endroit comme le Marie Antoinette. C’était comme ça qu’on l’avait élevée, et elle ne connaissait rien d’autre. Une fois prête, elle prit le temps de regarder son reflet dans le miroir, se souriant à elle-même, et sauta dans le premier taxi.

Raegan adorait West Chesterton – c’était un quartier parfaitement anglais comme elle les aimait tant. Elle souriait doucement en voyant passer les immenses maisons et leurs gazons vert éclatants, leurs haies parfaitement taillées et les fleurs arc-en-ciel colorant le paysage. Raegan se voyait bien vivre dans un tel endroit dans le futur, possédant une maison de pierre traditionnelle, accompagnée de son époux, anglais et catholique, et de leurs quelques enfants, tous vêtus pour la messe du dimanche. Oui, ça serait bien parfait. Le taxi noir s’arrêta finalement devant l’établissement, et après avoir payé le chauffeur, Raegan sortit sous le soleil. Un doux vent fit danser ses cheveux, et elle se dirigea à l’intérieur sans plus attendre. Le restaurant était plus ou moins bondé, à cette heure-ci. Raegan était un peu en avance, elle en était consciente, mais c’était une bonne chose, une chose qu’elle faisait continuellement. Elle détestait être en retard, et directement à l’heure. Quelques minutes d’avance, bien calculées, c’était là son idéal. Le serveur la conduit jusqu’à la table près de la fenêtre et Raegan s’y installa, attendant l’arrivée de son amie. Elle commanda un thé pour commencer, du Earl Grey bien sûr, son favori. Après y avoir déposé un peu de sucre et de lait, elle le sirota doucement, observant le paysage ensoleillé et tranquille à l’extérieur.

Au bout de quelques minutes, elle se tourna vers les grandes portes de verre qui séparaient l’entrée de la salle à manger, et y distingua une chevelure noire bien familière. Souriant instinctivement, elle se leva pour saluer son amie, la serrant doucement dans ses bras. Regarde-toi ! Tu es magnifique, ma chère. La présidence te va à ravir dit Raegan de sa voix douce. Elle reprit place, invitant Blaze à faire de même. J’ai l’impression que ça fait une éternité qu’on a pas discuté. Il faut absolument qu’on se mette au parfum.